jeudi 5 avril 2012

David Hockney ou l'art démocratique




D. Hockney, Nichols Canyon, 1980.

L’exposition David Hockney : A bigger picture fermera ses portes le 9 avril. Son succès est tel qu’il devient fort difficile de se faufiler parmi la cohue de la très charmante Royal Academy of Arts de Londres pour admirer les travaux récents du maître.


Hockney est un grand peintre, la Royal Academy of Arts une institution sans faille : le résultat ne pouvait être que garanti. Mais le succès de cette exposition ne découle pas de ces seuls faits. Evènement historique, vision prometteuse de l’avenir de l’art, cette exposition intègre des œuvres réalisées sur Ipads, exposées sur support écran et tirage papier.
Déjà, d’octobre 2010 à janvier 2011, la fondation Pierre Bergé - Yves Saint-Laurent présentait les créations numériques d’Hockney avec Fleurs Fraîches. Suivant la volonté de l’artiste, l’exposition regroupait uniquement des œuvres sur support écran : ipad, iphone et projection.

En concentrant l'exposition sur le paysage, genre pictural propre à la peinture et la photographie, la Royale Academy  présente les oeuvres d'un grand paysagiste et coloriste qui se soucie peu de la hiérarchie des supports. L’œuvre infographique, sur ipad, objet nouveau si l’on en croit Apple, semble ainsi d’importance égale à la peinture, au dessin. Le ipad rejoint toile et papier parmi les supports artistiques de prédilection.

Passé support de création, le ipad n’en demeure pas moins un outil ambivalent car il laisse la possibilité au plus grand nombre, par une utilisation simple, de faire et de montrer, de créer et d’exposer. De fait, il a tout d’un support parfaitement démocratique. Quiconque possède un ipad peut voir une oeuvre d’Hockney telle qu'elle a été conçue. Ainsi, le principe de reproduction n’est plus valable quand bien même l'oeuvre serait parfaitement dupliquée sur google images.

Que resterait-il alors au musée, au lieu d’exposition pour se distinguer d’une exposition virtuelle et solitaire sinon la scénographie ? Que reste-t-il au marché si l’art est démocratique grâce au support? Rien. L’avenir est prometteur ! Pour sûr, le ipad pourrait bien clore le débat qui nous anime depuis la révolution industrielle : la reproductibilité de l’œuvre d’art. Dans une société qui consomme massivement, les artistes n’ont cessé de dénoncer leur déboire devant la suprématie du mécanique, de la machine qui saurait évincer le geste, la spontanéité. Mais ne nous réjouissons pas trop vite. Si la pratique artistique est ludique, les œuvres qui en découlent doivent nécessairement être commercialisées, sans quoi, qu’adviendrait-il des galeristes ? La Royal Academy of Arts propose donc trente-deux œuvres conçues sur ipad et tirées sur un papier mat, proche d’une qualité rag employée pour les tirages photographiques. Le ipad n’est alors plus un support de création mais un outil, un objet comparable à l’appareil photo numérique.

D. Hockney, The sermon of the mount, 2010.
Si le Pop Art a fait de la consommation de masse son gagne-pain, Hockney, lui, n'est pas seulement un pop. Il est aussi un peintre accompli. Résumer son œuvre à la seule utilisation des nouvelles technologies serait une grossière erreur. Bigger Picture met en évidence la maîtrise du peintre, qu’il aborde la toile ou le ipad. Son art est une conversation sereine, dépourvue de frustration, avec les grands maîtres de la peinture. Dans The Big Hawthorne (2008) il cause avec Van Gogh quand dans Nichols Canyon (1980), Winter Timber (2009), il entretient une longue correspondance avec le lion Matisse. Avec Woldgate Woods (2006), il offre un pointillisme qui aurait conservé les vertus de la ligne. La série et les esquisses The Sermon on the mount (2010) citent Claude Lorrain et questionne Picasso.

Bien au-delà de la complaisance, c’est également à l’observateur qu’Hockney adresse ces Tunnels : perspective colorée de l’avenir, en hiver comme en été, le tableau apparemment rassure et plus  véritablement projette le peintre parmi ses fantômes. Lui qui, comme cet arbre violet, tient encore debout, planté au carrefour d’un sentier boueux, fier bien qu’amoindri, meurtri sans ses branchages, est un totem occidental, figure emblématique de la peinture contemporaine, célébrité du marché de l’art. Derrière lui, ce qui ressemble à un tapis de fougères folles, grillées par le gel, longe l’allée gauche. Des troncs de bois taillé s’y accolent méthodiquement en enfilade, semblables à des cercueils.

D. Hockney, Winter Timber, 2009.
S’il demeure coutumier de chercher la vanité dans l’œuvre d’art, et plus encore lorsque celle-ci est enfantée par un vieux serviteur de la peinture, ici, la mort est omniprésente. L’est-il de par le sujet, des paysages soumis aux saisons, au temps qui passe, renforce, ride, assagit ? Sans l’ombre d’un doute. C’est pourquoi les paysages d’Hockney ne sont ni morbides, ni nostalgiques. Le cours du temps est aussi ponctué de naissances, de floraisons.




Auguste Leroux 
David Hockney: Bigger Picture 
Royal Academy of Arts
Burlington House
Piccadilly
London W1J 0BD 
http://www.royalacademy.org.uk/exhibitions/hockney

Culture Complaisante




Pourquoi vouloir redoubler d’intelligence quand l’objet de notre attention est lui-même paresseux ? Le commentaire emballe désormais l’art aussi bien qu’un paquet cadeau. Et le spectateur se réjouit de recevoir ce qui finalement fera sa déception. Un dégoût qu’il n’assume que relativement. Certes, comme tout le monde, il se fait un avis de l’art, quand bien même c’est d’abord l’avis du voisin. Après tout, pour sociabiliser, c’est plus pratique. On s’insurge, on s’exalte ensemble.

Cas toutefois exceptionnel, ici, c’est le premier qui parle qui a raison. Et puisque le premier qui parle est régulièrement l’artiste lui-même, on trouve peu à ajouter qui nous distingue joliment. 
L’art est fabriqué par des hommes plus ou moins doués, plus ou moins honnêtes. Mais des hommes toujours. Le reste revient à la nature. Partant de ce fait indéniable, on peut dire que l’on trouve autant d’œuvres d’art que d’hommes pour les produire. Ainsi l’art est à l’image de son créateur et contient ce qu’il est essentiellement, nous l’avons dit, un Homme, et ce qui fait sa particularité : son éducation, son quotidien, son entourage, son environnement, sa manière propre d’être au monde. L’art offre la redécouverte d’éléments somme toute assez courants dans nos vies. Les sujets vont des plus existentiels ou plus quotidiens. Tout l’intérêt découle de la manière de les montrer, de les présenter et formuler.


Kundera écrit d’ailleurs dans la Valse aux adieux qu’un artiste est quelqu’un qui revendique le droit de s’exprimer plus que les autres. Pourquoi lui ?
Chacun pourrait déplorer ce droit dans de nombreux cas, qu’ils soient artistiques, politiques, intellectuels.
Sachons néanmoins que le commentaire d’art connaît quelques singularités. Quand il ne fait pas dans la mauvaise poésie, il parle à la première personne. Celle-ci joue l’humilité pour dissimuler la médiocrité de son oeuvre. Un certain Julien Colombier dont on peut voir les dernières œuvres, réalisées in situ, à la galerie Metropolis, vous dirait qu’il peint ses tableaux comme un acte d’appropriation de la réalité. Et vous vous verriez que sa réalité est bien pauvre. Pour sûr, le petit bonhomme lit des bandes dessinées s’il n’y est pas seulement sensible. On se demande bien pourquoi le minon n’en est pas resté là. La bande dessinée existe, avec une histoire, des dialogues, des oeuvres découlés de l’acharnement des auteurs. Pourquoi l’appauvrir pour en faire un tableau? La BD est un art. La peinture aussi.
Monsieur est un autodidacte, nous dit-on. Il est vrai qu’un certain nombre a fait bonne fortune. La naïveté prétendue des autodidactes n’enlève rien à leur terrible effort, l’effort requis à qui prétend au droit de s’exprimer plus que les autres : le travail. L’autodidacte qui fait la différence est celui qui sait formuler l’intelligence populaire. L’enjeu trouve une plus grande importance à l’heure de la mondialisation, de la médiatisation qui forme les regards à la chaîne. Impossible pour lui, de se contenter de la culture commerciale sans y apporter un point de vue singulier. La simple copie de notre société de consommation pollue les musées depuis maintenant une cinquantaine d’années. Ce pop éphémère, jetable, tout droit sorti de l’usine, aussi inutile, désagréable et dérisoire qu’il soit, n’est pas pour autant modique. De la même manière, le marché de l’art profite encore allègrement des revendications artistiques du Douanier Rousseau et des Naïfs pour renflouer ses caisses déjà bien remplies.
Colombier n’aurait point renoncé aux références iconiques de sa jeunesse. On pourrait en dire autant de nombreux de ses congénères qui pillent leur coffre à jouet pour orner quelques toiles.
Le bandit ajoute qu’il n'est pas curieux de la religion mais, fait singulier, à l’en croire, qu’il est influencé par les images bibliques. Monsieur, n’êtes-vous  pas né dans un pays ponctué d’églises dont la laïcité certes débattue depuis fort longtemps, n’est effective que depuis 1905 ? Cette apocalypse, ce déluge que vous prétendez voir mentalement ne sont-ils pas visibles et servis à toutes les sauces au cinéma, à la télévision ?

En 2012, il est de bon ton de jouer les prophètes de l’Apocalypse. Julien Colombier est un autodidacte bien pensant, bien mou.


Auguste Leroux

Julien Colombier - Highlight Park
Galerie Metropolis
16 rue de Montmorency
75003 Paris 
jusqu'au 14 avril 2012